Black And With Chart [ PV Sora ]

<<Welcome in Japan. We hope that you went on a good travel. The outside temperature is 10 degrees ... >>

Le jeune homme descendit les marches de l'escalier de fer qui menait à la portière de l'avion, ne se souciant pas de la voix artificiellement douce qui prononçait ces mots à travers les hauts-parleurs. Il se dirigea vers l'aéroport, simple voyageur anonyme au milieu des centaines de personnes qui remplissaient le bâtiment. Ses membres lui rappelaient à chaque pas qu'il venait de quitter un siège où il avait passé dix longues heures. Dix heures dans une carcasse métallique qui bafouait avec un enthousiasme des plus illogique les lois de Newton et de sa pomme. Mais le sol avait à présent repris ses droits, enchaînant l'avion vidé de kérosène sur l'asphalte le temps que les voyageurs sortent.
Une bourrasque de vent menaça d'emmener avec lui le feutre noir qui recouvrait les mèches sombres de Shô. Machinalement, il plaqua sa main contre le chapeau, le maintenant sur son crâne alors que sa cravate à épingles se détachait de sa chemise pour venir accompagner le vent dans sa danse, restant accrochée malgré tout au cou du jeune homme. L'air s'engouffrait également dans les déchirures larges de son jeans, venant caresser sa peau laissée à nue. Plus bas, il peinait à faire frissonner la peau de l'androgyne, des chaussettes hautes, rayées de noir et de blanc, parfaitement visibles, l'en empêchant. Les vêtements revinrent sagement à leur place une fois la porte automatique franchie. Le temps pour le jeune homme de récupérer ses deux valises, dans lesquelles il avait réussi à soigneusement faire entrer ses deux instruments de prédilection et il alla de nouveau affronter le vent. Cette fois, il avait eu le temps d'enfiler un long manteau noir.

Le parking de l'aéroport fourmillait de taxis n'attendant qu'un passager pour vider une partie de ses poches et démarrer en trombe. Shô fut bientôt installé sur un des sièges arrières, ses valises dans le coffre. Il put constater durant les vingt minutes que durèrent le voyage que Mère Nature comme les hommes faisaient preuve d'une originalité sans bornes. Des arbres, des cailloux, des routes, des cabines téléphoniques, de l'herbe. Et de la buée sur la vitre. Ce fut à peu près à quoi se limitait la vue du jeune homme, ses yeux bruns soulignés de noir fixés distraitement sur un extérieur qui ne lui paraissait pas le moins du monde attirant. Dans la voiture, la chaleur enveloppait son corps et les sièges étaient loin d'être durs. Il soupira, renversant la tête en arrière. Il était content. Non pas d'être de retour au Japon, mais de s'éloigner le plus possible de l'atmosphère familiale qui devenait de plus en plus électrique. Sa mère les délaissait de plus en plus, lui et Ann, et leur père était bien trop occupé à tenter de faire tomber en disgrâce son ancienne femme. La seule chose qu'il arrivait à regretter en Allemagne, c'était peut-être Ann, justement. Et encore. Leurs liens se distendaient de plus en plus. Ici au moins, il n'y aurait pas de cris perpétuels qui parvenaient même à franchir la barrière soigneusement érigée grâce aux écouteurs. Shô reconcentra son attention sur la route, ses yeux virvoltant entre tous les éléments du paysage. Les chiffres sur le tableau de bord indiquait vingt minutes de plus qu'à la sortie de l'aéroport. Le chauffeur appuya sur la pédale. Avec pas plus de mots que ce qu'il fallait, Shô le régla, sortit de la voiture et récupéra seul ses valises dans le coffre. Quelques minutes supplémentaires virent la porte de l'internat se refermer derrière lui.

- Shiikureta-kun ! Pourriez-vous aller déposer ce carton de tubes à essais dans le hall s'il vous plaît ?

Sora poussa un profond soupir en se tournant vers son professeur de chimie, finissant par acquiescer d'un vague signe de tête. Il attrapa le lourd carton que lui tendait le quinquagénaire, le saluant ensuite d'un nouveau signe de tête avant de se détourner, s'engageant dans le long couloir. Depuis qu'il était levé, tout le monde réclamait son aide pour une raison ou pour une autre, tant les professeurs que les autres élèves. Ainsi, il avait passé une bonne partie de sa matinée à se balader un peu partout dans l'école, les bras chargés de livres, cartons, caisses ou encore documents administratifs importants lorsque le proviseur lui avait demandé d'en remettre au secrétariat. Non, vraiment, il se demandait ce que tous pouvaient bien lui vouloir pour le réclamer autant.

Pourtant, la journée avait bien commencé. Il ne s'était réveillé ni trop tôt, ni trop tard. Il avait pu prendre une longue douche bien chaude et n'avait pas passé trop de temps devant son armoire, optant pour, ce jour-ci, un débardeur noir assez près du corps, à lanières de tissu écossais et à col roulé, ainsi qu'un jean bleu artistiquement délavé. Ses deux longues mèches dorées reposaient sur sa poitrine tandis que le reste de ses cheveux, plus courts, défiaient la loi de la gravité et étaient savamment éclatés autour de son visage. Il s'était également maquillé les yeux de noir et reverni les ongles, étant donné que la couche de vernis noire précédente commençait à s'écailler dangereusement.

En bref, Sora était tout simplement parfait. Et la journée aurait pu l'être également si un élève de première année ne s'était pas décidé à le déranger alors qu'il lisait un livre de Fujimori Asuka, Nekotopia. Et il s'était retrouvé embarqué dans toute une histoire qu'il n'avait pas très bien comprise, mais en tout cas il rendait service à tout le monde autour de lui et, évidemment, ne se sentait pas la force de résister aux moues adorables que certains élèves lui faisaient souvent.

Le jeune androgyne poussa un soupir soulagé en arrivant au sommet des escaliers. Avec un peu de chance, il pourrait rapidement reprendre Nekotopia. Il se mit à descendre avec prudence les marches assez glissantes qui menaient au hall. Mais évidemment, rien ne se passe jamais comme prévu. Fichu équilibre précaire. Quoi qu'il en soit, Sora réussit à trébucher on ne sait comment. Il lâcha par automatisme le carton afin de réussir à se stabiliser. Manque de bol, il loupa la marche suivante et dévala l'escalier jusqu'en bas sans comprendre comment non plus. Quoi qu'il en était, il avait mal partout et les tubes à essai étaient éparpillés partout dans la gigantesque pièces, jusqu'aux pieds du nouvel arrivant qu'il n'avait pas encore vu.

- Oh non... K'sô... Mon dos bordel...

Les yeux de Shô se posèrent sur la silhouette androgyne qui descendait les escaliers. Il assista sans bouger à sa chute, admirant peut-être le vol du carton. La loi de Newton se réimposa une deuxième fois dans la journée, le carton allant s'écraser à terre avec un bruit mou. Ce ne fut pas le cas des éprouvettes. Elles volèrent hors du container, parcourant quelques mètres de plus que celui-ci pour se briser sur le sol avec un bruit cristallin. L'androgyne leva le pied, le secouant légèrement pour faire tomber l'éclat qui avait réussi à atteindre sa Doc Martens. Au moins le cuir verni n'avait pas été rayé par le morceau de verre. L'égocentrisme de Shô atteignait des sommets en ce genre de moment. Quoiqu'il arrive à quelqu'un, du moment que lui n'avait rien, ça n'avait pas d'importance. Il adorait qu'on s'intéresse à lui, même en le haïssant. Cet égocentrisme qui se faisait inévitablement remarquer en était un excellent moyen. Pour une autre raison bien plus simple, il ne voulait pas s'attacher aux autres, se concentrer uniquement sur lui-même. Depuis que ce crétin avait cru que des ailes lui poussaient en cette soirée de février, il voulait rester entier. Il ne voulait pas que ses sentiments le fassent revenir à l'état d'une loque humaine, tout juste bonne à pleurer, à boire et à se droguer. On finit tous par mourir un jour, mais il voulait vivre ça jusqu'au bout. Il n'avait pas envie de finir ses jours bien trop tôt. Se rendant compte que ses pensées sortaient un peu trop du contexte de la scène, les yeux de Shô se reposèrent sur le garçon. Lamentablement étalé sur le sol.

- Lamente-toi debout au lieu de par terre, ça enlèvera déjà un peu de ridicule à la scène.

La voix totalement indifférente avait fini par déchirer le voile du silence qui s'était abattu sur le hall. Shô remonta du pouce le chapeau qui couvrait son crâne, dévoilant les mèches sombres qui tombaient sur son front, ses yeux presque noirs entourés d'un trait discret de crayon. Alors seulement ses iris se posèrent sur le visage du garçon à terre. Son sourcil droit se dressa en accent grave presque imperceptible. S'il n'avait jamais eu la vision de la définition du mot sosie, il l'avait à présent. Même traits de visage, même nez, même bouche, même forme des yeux .. Ce qui différaient était, bien qu'il ne puisse pas le voir encore, la taille. Il mesurait quelques centimètres de plus que l'inconnu. Et ses yeux étaient plus sombres que ceux de l'androgyne. Mais ce n'était que des détails insignifiants comparés à toutes les ressemblances qui unissaient les deux corps et les deux visages.

Une grimace déforma les traits de Sora en sentant un éclair de douleur traverser son échine. Il posa une main sur ses reins douloureux, qui avaient fait une dure rencontre avec une bonne dizaine de marches d'escaliers, frottant comme il pouvait sa peau au travers de son débardeur. Le prof de chimie allait le tuer en apprenant qu'il avait bousillé une bonne moitié de ses éprouvettes pourtant en plastique... Ce n'était pas censé casser... A moins qu'il y ait eu des éprouvettes en verres dans le lot... Tant pis. Il aurait mieux fait de confier cette tâche à quelqu'un d'autre, quand on connaissait la particularité du jeune androgyne à partir très souvent dans la lune...

- Lamente-toi debout au lieu de par terre, ça enlèvera déjà un peu de ridicule à la scène.

La voix était indifférente, presque glaciale, et avait résonné comme un coup de couteau dans le silence pesant qui planait dans le hall. Le sang de Sora se glaça dans ses veines. Et merde. Quelqu'un avait assisté à sa chute plus que humiliante et, en plus, se permettait de le juger. Hum. Ça risquait de mal finir. Le jeune homme blond prit le temps de se relever tranquillement, époussetant son débardeur et l'arrière de son jean avant de lentement se retourner, se préparant à cracher une de ses répliques cinglantes dont il avait le secret.

Sauf que sa voix resta bloquée dans sa gorge. Ses yeux s'écarquillèrent légèrement en découvrant le visage du nouvel arrivant, en tous points semblable au sien. Les mêmes traits fins mais pas trop, le même nez droit légèrement aplati sur le visage, les mêmes lèvres charnues et brillantes, les mêmes yeux en amande, quoique ceux de l'autre étaient plus foncés, d'un chocolat presque noir, alors que ceux de Sora étaient d'un joli noisette. Et il était plus petit que le nouveau.

Le cœur de Sora se compressa soudainement dans sa poitrine, lui faisant étrangement mal. Comme si quelque chose qui lui avait toujours manqué essayait de se coller à son organe vital pour qu'il soit enfin complet. Ses jambes le conduisirent d'elles-même jusqu'à sa copie conforme. La seul envie qui le traversait pour l'instant était de se réfugier dans ses bras et ne plus jamais en repartir. Mais reprends-toi, Sora. Vu le ton sur lequel il t'a parlé, si jamais tu essaies de le faire, il t'enverra bouler. T'écraser au sol. Comme tu l'as toujours fait depuis trois ans...

L'androgyne déglutit en relevant ses yeux noisette, étrangement vitreux, vers son parfait sosie, le contemplant à n'en plus pouvoir. Son cœur avait cessé de le faire souffrir et battait désormais paisiblement, plus calme que jamais depuis qu'il était tout petit. Sora se mordit nerveusement la lèvre, semblant se retenir de faire quelque chose. En l'occurrence, lui sauter tout bonnement au cou.

- Pourquoi... ?

Oui, Sora avait bien fait de ne pas sauter dans les bras de Shô. L'androgyne l'aurait laissé tomber comme un laisse tomber un vulguaire objet. Qu'il soit son frère, cela l'importait peu. Il n'aimait pas spécialement avoir des contacts physiques, si lui ne les avaient pas décidé. Il bougea légèrement, venant écraser sans état d'âme deux morceaux de verre en miettes encore plus petites. Au moins, il l'avait fait par mégarde. Parce que le jeune homme aurait tout à fait pu le faire exprès, dans le pur besoin d'emmerder son entourage direct comme il savait si bien le faire. Il posa calmement ses valises sur le sol, se penchant pour éviter de les déposer sur des éprouvettes, encore entières puisqu'en matière plastique. Il se redressa après quoi, croisant ses bras sur son buste recouvert d'une chemise blanche. La voix de Sora parvint nettement à ses oreilles, mais il ne daigna pas encore y répondre. Ses yeux s'attardaient sur la moindre parcelle de peau de l'androgyne. Il liait peu à peu leurs deux visages, encore un peu plus que cela était déjà fait. Seuls les yeux différaient. Les paroles d'Oskar et de Lily lui revinrent en tête. Elles avaient été lancées négligemment, alors que ses parents mettaient fin à une brève trêve, sans dispute, le temps de le conduire à l'aéroport. C'était Oskar qui avait parlé, d'une voix totalement légère, et pourtant tellement tendu. A cause de sa femme certainement, et de son ventre rond. Mais on ne disait pas ces choses sur ce ton. Il se fichait encore plus de Shô que le faisait Lily. Elle, elle avait une raison. Elle, elle avait Raphaël et l'enfant qui grandissait dans son ventre, des efforts à déployer pour se reconstruire une nouvelle vie.
" Au fait Shô, t'as un frère. Sora. "

- On va vérifier ça très simplement. Je m'appelle Shiikureta Schwarz Shô, j'ai été adopté et aux dernières nouvelles, j'ai un frère qui s'appelle Sora.

Les mots avaient été lâchés de cette voix toujours aussi indifférente, claquant avec sècheresse dans le nouveau silence du hall d'entrée. Shô n'avait toujours pas bougé, se contentant de dévisager Sora du haut de ces quelques centimètres supplémentaires. Si on suivait la logique parfaitement limpide des choses, c'était son frère. Un détail se rajoutait à ce qu'on lui avait dit, c'était son frère mais jumeau de surcoît. Son parfait double physique, si l'on oubliait la taille et les yeux. Et des caractères qui semblaient pour l'instant totalement opposés. Comme une carte dont une face aurait été blanche, l'autre noire. D'ailleurs, leurs yeux semblaient montrer cette différence. Sora, qui semblait le plus ... angélique ? des deux avaient les yeux clairs, alors que ceux de Shô s'approchaient du noir comme la nuit.

Sora se raidit. Ses muscles s'étaient tétanisés à l'annonce de Shô. De Shiikureta Schwarz Shô. Si on enlevait la partie du milieu, ça donnait Shiikureta Shô. Lentement, l'androgyne blond porta une main à son visage, se frottant les yeux avec vigueur tout en faisant toutefois attention de ne pas étaler son maquillage. Il avait l'impression d'être dans un drama. Un pur drama. Un sourire nerveux étira ses lèvres tandis que son regard noisette fuyait, se posant un peu partout dans la gigantesque pièce avant de revenir sur son... frère. Qu'il ne connaissait évidemment pas.

- Sora, c'est moi.

Les enfoirés de parents. Ils n'avaient apparemment pas pensé que ce serait important de prévenir leur bâtard de fils qu'il avait un frère. Et, apparemment, jumeau. En fait, on peut supprimer le « apparemment », leur physique était tellement ressemblant que ce n'était même plus la peine de faire de stupides hypothèses. Et, d'un coup, le poing de Sora vint frapper faiblement le torse de Shô, comme pour vérifier qu'il était bien vivant. Bien là. Pas une de ses hallucinations assez fréquentes lorsqu'il se sentait un peu trop... perdu, voire même seul. Mais sa peau rencontra bel et bien le tissu de la chemise et, derrière, il sentit la résistance de son torse. D'accord. Déjà, Shô n'était pas une illusion. Le jeune androgyne déglutit péniblement, finissant par entrouvrir légèrement les lèvres, somme s'il voulait dire quelque chose. Qui ne sortit pas. Lui demander quoi, de le prendre dans ses bras ? Vu le caractère que laissait transparaître son jumeau, c'était mort. De lui offrir un simple baiser sur le front ? Mort aussi. Optons donc pour une question des plus basiques.

- Tu sais... A quelle heure... tu es né ?

Au moins, ils pourraient savoir lequel des deux était « l'aîné ». Sora, lui, était né à quatre heures trente-deux très exactement. Restait à espérer que ce soit lui le... plus vieux. Parce qu'il ne se sentait pas d'avoir un rôle de « cadet » avec un frère aussi glacial que Shô. Glacial, indifférent et pourtant incroyablement charismatique. De nouveau, Sora déglutit. Il ferma un instant les yeux le temps de s'en remettre, finissant par soulever lentement les paupières, ses prunelles noisette se braquant d'office sur le visage de son jumeau. Bon sang. Encore une demi-heure auparavant, il était l'aîné de la fratrie Shiikureta, et là il se retrouvait avec un frère jumeau qui ne tarderait pas à lui donner son heure de naissance. Du moins normalement.