Petit billard entre amis [PV Tsukune]

Reira n'avait jamais été une bonne élève.
Déjà au temps du lycée, les cours ne la passionnaient pas, et malgré un certain effort, celui-ci avait déjà difficilement réussi à lui faire passer correctement ses examens. Jusqu'à ce qu'elle tombe enceinte, et la naissance de Kimie, qui fût presque fatale à la réussite de ses études ; le choc psychologique qu'elle avait pu recevoir -Seiho l'avait quand même laissée tomber comme une vieille chaussette odorante-, additionné au nouveau soin qu'elle devait apporter à sa fille, sa nouvelle préocupation principale, lui fit manquer nombre de classes, et l'empêchait régulièrement de travailler comme elle l'aurait voulu.
C'était seulement maintenant qu'elle recommençait à reprendre un rythme régulier, s'organisant de mieux en mieux dans sa vie privée, gérant plus facilement la petite. Mais ça n'était pas pour autant que les résultats suivaient, comme l'attesta sa copie tout juste rendue, arborant avec une fierté agaçante une note d'une médiocrité décevante. Bon. Elle n'allait pas se miner le moral pour si peu ; aussi sourit-elle à Chojiro, assis non loin d'elle, comme pour lui signifier que tout allait bien.

Dès lors que la sonnerie annonça la fin du cours -et par la même occasion, de la journée de classe-, Reira se dirigea sans hésiter vers la sortie de l'école, se hâtant vers un point visiblement attendu. La maison de ses parents n'était pas bien loin du bâtiment, facilitant ainsi les trajets lorsqu'elle devait y déposer, ou venir chercher Kimie, comme cet après-midi. La jeune femme n'aimait pas particulièrement la déposer chez eux, de par l'attention et l'énergie que le baby-sitting réclamait, mais l'ensemble des élèves -et donc Sumi- ayant cours la journée, il lui était impossible de faire autrement.
« Ma puce. », fit-elle en se baissant vers ladite puce, qui se précipita dans ses bras. Ces grands yeux noirs, sa bouille d'ange, son teint de porcelaine, tout cela lui avait terriblement manqué. Si seulement Seiho se rendait compte à côté de quoi il passait... Tant pis pour lui. Enfin. « Tu sais ce qu'on va faire, aujourd'hui ? » Kimie secoua négativement la tête, agitant ses cheveux lisses. « On va aller à la salle de jeux. », continua-t-elle avec un grand sourire. Non pas qu'elle voulait absolument l'initier aux jeux vidéos, mais souhaitait simplement l'emmener en ville, dans un endroit sympathique. Et là-bas, c'était l'occasion rêvée ; elle y avait repéré quelques jeux pour enfants, lors de sa dernière visite. Puis elle pourrait s'amuser elle aussi. Avec un petit billard ? Pourquoi pas. Il fallait avouer qu'elle en avait légèrement envie.

Ainsi se rendirent-elles à la fameuse salle, quelques temps plus tard, bondée pour cause de fin des cours. Personne qu'elle ne connaisse assez pour aborder. Tenant son bout de chou par la main, elle commença à se diriger vers le petit manège qu'elle avait vu au préalable, quelque part au fond de la pièce principale. Jusqu'à ce que, laissant son regard divaguer sur les personnes présentes, elle ne tombe avec surprise sur le charmant Tsukune. Et charmant, c'était le mot, puisque son coeur fit un agréable sursaut dans sa poitrine, accrochant à son visage un sourire éclatant. Certes, elle n'avait jamais eu vraiment l'occasion de lui parler, le bonhomme étant d'une nature apparemment réservée, mais, déjà, elle avait envie d'en savoir plus. Cet -adorable- imbécile de Chojiro n'avait jamais eu la présence d'esprit de les inviter tous les deux, afin qu'ils puissent faire plus ample connaissance. Enfin. Elle était là, son occasion rêvée.

S'approchant avec naturel de sa cible, Kimie gambadant à sa suite, Reira attira son attention en lui touchant légèrement le bras, puis lui sourit de toutes ses dents une fois qu'il se fut tourné vers elle. « Salut, Tsukune ! Je te dérange pas ? », commença-t-elle avec entrain, espérant que la réponse fût négative. Une fois celle-ci émise -hein, qu'elle le dérange pas ? ;_;-, elle enchaîna presque aussitôt, faisant preuve d'une politesse exemplaire, et qu'elle jugeait ici nécessaire. « Je te présente Kimie, ma fille. », fit-elle en la prenant dans ses bras, afin que Tsukune puisse mieux la voir. « Tu dis bonjour à Tsukune ? », suite de quoi, la petite émit un timide « Bonjour. ». Le jeune homme avait sûrement dû en entendre parler, avec toutes ces rumeurs qui couraient à leur sujet, mais Reira préféra ne pas le faire remarquer en la présence de sa fille, qu'elle gratifia d'un léger baiser.
« Tu viens te détendre après les cours, à ce que je vois ? Le studieux Tsukune ne passe donc pas toutes ses soirées à étudier sans répit ? » Une légère boutade pour débuter, qu'elle signala par un sourire malicieux. Certes, elle aurait pu mieux faire, pour débuter la conversation, mais rien de mieux n'était parvenu à franchir ses lèvres. Aussi attendit-elle une quelconque réaction de la part de son interlocuteur, dont le regard fut bientôt ancré par les prunelles sombres de Reira.

Pauvre Tsukune. A peine repéré, que déjà victime de l'humour -parfois pas très malin, on se l'accorde- de Reira. Survivra-t-il à l'exploit de passer le reste de la soirée en sa compagnie ? Hum. Les paris sont ouverts.

C'est qu'il avait de l'esprit, le jeune homme. Enfin, elle n'en avait jamais douté, bien entendu, Tsukune lui paraissant être l'homme idéal. Oui oui, rien que ça. Parce qu'en plus d'être son type, il avait toutes les qualités requises à l'obtention de ce titre, d'après les éloges de Chojiro, et de ce qu'elle avait pu en voir. Ne lui restait plus qu'à confirmer le tout, en apprenant à mieux le connaître. Héhé.
« T'en fais pas, l'enfer, je crois qu'elle le fréquente déjà assez. » Parce qu'entre les rumeurs, et le comportement odieux de certaines, notamment de sa chère colocataire, Otani, la petite n'avait pas été épargnée. Encore heureux que la portée de ces saloperies ne l'atteignent pas encore. Enfin. Reira sourit à sa remarque, comme pour la faire apparaître bénigne, contemplant un Tsukune ne sachant trop quoi faire de sa peau, dans un endroit qu'il ne fréquentait apparemment pas beaucoup. Hum. Dans un élan de bonté -où elle profitait un peu ( beaucoup ) de la présence du beau japonais, sa pseudo générosité n'étant qu'un énième prétexte pour se déculpabiliser du sentiment qui venait de l'envahir-, elle se décida à agir.
Le voyant lorgner sur un jeu d'arcade, dont elle ne raffolait d'ailleurs pas vraiment, elle déclara avec un grand sourire : « Laisse tomber ces trucs électroniques. Si tu n'as rien d'autre à faire, j'aimerais te montrer quelque chose. » Moue énigmatique sur les lèvres. « C'est par là. », ajouta-t-elle en faisant quelques pas dans l'allée de gauche. Sa puce toujours dans les bras, elle vérifia que Tsukune la suivait, lui distribuant sourire sur sourire, comme à son habitude. Voire plus qu'à son habitude. Enfin, ça n'était, pour le moment, pas bien important. Avait-il seulement remarqué qu'il lui plaisait ?

Bien heureusement pour elle, le jeu qu'elle avait repéré pour Kimie -parce qu'elle avait beau être en charmante compagnie, elle n'en oubliait pas non plus le fruit de ses entrailles- se situait non loin de ces tables bien connues. A la vue de ces dernières, le visage de la jeune Tôda rayonna de plus belle, et elle s'arrêta près de l'une d'elle, tapotant de sa main libre la surface rugueuse de la moquette.
« Ca te dit, une petite partie ? » Et cela était valable, même s'il n'y avait jamais joué.

Quand Reira le vit se pencher à son oreille, elle piqua un fard. Eh oui. Un fard. Elle, qui n'était que très rarement gênée, ne se targuant de n'avoir quasiment aucun tabou. Qu'est-ce qu'il faisait, le malheureux ? Elle se reprit lorsqu'il lui avoua ne jamais avoir joué au billard, souriant alors de toutes ses dents ; pour tout dire, elle s'en était doutée un peu. Voire beaucoup ; Tsukune avait sûrement des choses plus intéressantes à faire de son temps, et avait également la réputation de ne sortir que peu. C'était l'occasion rêvée de l'inciter à sortir de sa coquille.
Le pauvre. Il avait l'air terriblement gêné, comme l'attesta son rire nerveux, ainsi que le changement de direction de son regard. Oooh, trop, trop mignon. Reira s'empêcha de fondre si vite, et gratifia le jeune homme d'un sourire éclatant.
« Dans ce cas, je vais t'apprendre. Il n'y a pas de honte à ne pas savoir jouer, tu sais. » Surtout que le billard était loin d'avoir autant la côte que les jeux vidéos tels que le Dance Dance Revolution, dans ce pays. Elle se pencha à l'oreille de Kimie, lui demanda si elle serait gênée de rester seule avec Tsukune, quelques instants. Après le signe de tête négatif de la petite, Reira s'approcha du petit génie, et lui demanda : « Hum... Je peux te laisser Kimie, un instant ? Je dois aller résever le billard, pour qu'on puisse jouer. » Elle attendit patiemment sa réponse, sourit quand il lui répondit que cela ne le dérangeait pas, et lui donna délicatement la puce dans les bras. Devinant qu'il ne serait pas forcément très à l'aise avec une petite fille de cet âge, elle crut bon d'ajouter :« Je reviens vite. », avant de disparaître dans l'allée dans un dernier sourire.

Cette soirée promettait d'être géniale. Elle qui était r-a-v-i-e de s'imposer comme son professeur improvisé. Quoi de mieux pour resserrer les liens ? Et même s'il n'éprouvait aucune attirance en son égard, Reira avait toujours voulu le connaître un peu plus. A l'accueil, elle demanda une table de billard, pour une heure, qu'on lui céda facilement. Le tout lui avait pris moins de cinq minutes, et elle fut rapidement de retour auprès de Tsukune.
« Merci, Tsukune. » Ne souhaitant pas l'embarrasser un peu plus, elle reprit Kimie avec douceur, lui demanda ensuite ce qu'elle voulait faire. « Un dessin. » Reira fut surprise : « Tu ne veux pas faire le jeu là-bas ? » Elle lui désigna du doigt le petit cheval qui était non loin de là, adapté à ceux de son âge. Kimie secoua la tête. « Bon, bon, un dessin alors. », fit-elle avec un sourire, avant d'ajouter à l'intention de son « élève » : « Je suis à toi dans deux minutes. » Profitant de l'absence d'autres personnes, elle assit la petite sur une table de billard adjacente, sortit du sac spécial Kimie une feuille, et un feutre. Le minimum syndical, quand on était mère. Après un dernier baiser à sa fille, elle s'en retourna vers Tsukune. « On commence ? »

Tsukune était un amour, c'était confirmé. A chacun de ses sourires, elle fondait sans exception ; fallait-il préciser que le bonhomme aurait pu, sans aucun problème, tourner dans l'une de ses pubs vantant le mérite d'un dentifrice à la blancheur éclatante ? Cela combiné à la légère attirance qu'elle pouvait éprouver pour le jeune homme, sa réaction pouvait se comprendre parfaitement. Ainsi, lorsqu'il lui tendit la baguette en bois, elle resta un instant scotchée au vu de son sourire, puis le lui rendit : il avait l'air motivé, en plus d'être serviable. Et c'était tant mieux, par la même. Soit il lui faisait comprendre qu'il avait réellement envie d'apprendre à jouer, soit qu'il n'était pas mécontent de passer une soirée avec elle. Ou, dans le meilleur des cas, les deux en même temps.

Ils commencèrent par les bases, Reira lui expliquant quel type de jeu ils allaient emprunter : « Il y a plusieurs manières de jouer, mais celle que j'aime le plus, c'est le billard anglais. » Sur ce, elle lui sourit, puis continua son explication en lui indiquant de sa main libre les seize billes, tranquillement parquées dans un triangle en bois. « Normalement, on joue avec des jaunes et des rouges, mais là... On se contentera de celles-ci. Le but du jeu, c'est d'empocher toutes les billes de sa couleur, puis la noire, avant que l'autre le fasse. Le choix de la couleur se fait pendant la casse, enfin, je t'expliquerai quand on y sera. » Bon, les règles et les termes étaient très techniques, mais si les différentes formules de maths qu'on leur servait en cours ne gênaient pas Tsukune, pas de raison pour que cela le rebute ici. « Pour savoir qui commence, on tire deux billes en même temps, et celle qui est la plus proche de ce bord de table... » Elle tapota le plus proche d'elle, indiqué comme étant la partie supérieure de la table. « ... prend la main. » Bon. Elle expliquerait le reste au fur et à mesure. « On va en profiter pour t'apprendre à tirer, maintenant. », dit-elle avec un nouveau sourire, avant de jeter un oeil à Kimie, gribouillant tranquillement sur sa feuille. Tant que ce n'était pas sur la moquette -qui coûtait horriblement chère- de la table. Comme Reira avait toujours préféré le pratique au théorique, elle enleva le triangle de bois, puis rangea les billes sur le côté, puis alla placer la blanche, et une autre, à différents endroits de la table. Pour débuter, elle avait laissé à Tsukune le choix de la facilité : les deux billes étaient alignées à l'une des poches -nom des trous de la table-, facilement mettable en un seul coup.

« Tiens ta baguette comme ceci. » Sur ce, elle plaça sa main droite vers le bas de ladite baguette, réfléchit un instant à comment mettre l'autre -elle était gauchère, et supposait que Tsukune ne l'était pas-, puis se pencha sur le billard, avant de placer l'autre. « Tire en t'aidant de tes doigts, pour guider le tout, et vise le centre de la bille, pour l'instant. » Les effets, ça serait pour plus tard. Elle se releva, sourit de toutes ses dents au jeune homme, avant de s'approcher de lui, effleurant légèrement son dos afin de le faire approcher de la table. « C'est à toi, maintenant. Essaie de mettre la rayée avec la blanche. » Et promis, elle ne se moquerait pas de lui s'il la ratait. Aussi se contenta-t-elle de le regarder dans les yeux -et quels yeux-, attendant qu'il se décide.

Tsukune avait l'air d'avoir le profil parfait du joueur de billard ; une grande capacité de concentration, un calcul rapide des trajectoires, et une assimilation rapide des informations qu'on lui donnait ; lorsque Reira le vit s'approcher de la table, elle s'attendait donc à le voir se concentrer quelques secondes, puis à tirer, et mettre dans le mille dès le premier essai, sans hésitation. Aussi, quand elle l'observa un instant, et s'aperçut qu'il rêvassait, elle s'interrogea. Avait-elle mal expliqué quelque chose ? Hum. C'était étrange. Et ce le fut encore plus, lorsqu'il se tourna vers elle, et lui demanda une chose à laquelle elle n'aurait jamais pensé.

... Comment placer ses mains ? Mon Dieu. Il tentait le diable, le pauvre Tsukune. Ou alors le cherchait-il ? ... A cette simple idée, une agréable chaleur la saisit, et elle lui répondit par un sourire éloquent. Mon Dieu. Elle n'en revenait toujours pas. Ne pas se faire de film, Reira, ne pas... Mais comment résister ? Il lui tendait ostensiblement une perche. Hum. Elle aurait tout le loisir de se prendre la tête plus tard. Autant profiter du moment présent. « D'accord. », répondit-elle simplement, n'ayant pas réellement le coeur de gâcher cet instant par l'une de ses blagues imbéciles.
Ainsi s'approcha-t-elle de Tsukune, puis prit avec douceur sa main droite, la faisant glisser sur la baguette, à la bonne place, savourant avec délice ce contact tant espéré, et répéta l'opération avec la gauche, sans le regarder dans les yeux. Et ce fut son tour de rêvasser, laissant sans pouvoir s'en défaire, sa main sur la sienne. Oui, oui, elle profitait honteusement, mais une occasion pareille ne lui était pas donnée tous les jours. Puis, à contrecoeur, elle rompit tout contact quelques secondes trop tard, releva ses prunelles sombres vers lui, et lui sourit.
« C'est mieux, comme ça ? » Et elle en rajoutait. Mais pourquoi s'en priver, ne ?

Et ce fut ce moment que choisit Kimie pour l'interpeller, montrant son dessin à moitié fini. Détournant les yeux de Tsukune, elle alla la féliciter un instant, l'encourageant d'un baiser, avant de s'en retourner auprès du jeune homme, après un léger soupir -de béatitude, sûrement. Enfin. Ancrant à nouveau son regard dans le sien, elle attendit qu'il se décide à jouer, à dire quelque chose, ou que savait-elle, encore.

Un instant, Reira passa de Tsukune au billard, entendant le cliquetis familier des billes s'entrechoquant ; la rayée venait d'être empochée à la perfection. Et sans qu'il ne regarde ce qu'il était en train de faire, en plus. Hum. Elle reporta son regard sur le jeune homme, qui le nargua de son sourire de vainqueur. Non mais. « Joli coup. », le félicita-t-elle avec un sourire franc. Pourquoi lui en aurait-elle voulu ? Certes, il risquait de s'avérer relativement plus doué qu'elle, avec l'entraînement et tout le toutim, mais il restait un garçon adorable, à la modestie débordante. Et puis, elle était prête à tout lui pardonner, par la même ; si ça n'avait tenu qu'à elle, elle lui aurait donné le bon Dieu sans confession.

Surprise par le léger contact qu'il lui prodigua d'un geste, elle eut un petit sursaut, qui se mua rapidement en cette agréable impression qu'elle connaissait parfaitement bien. Soit il ne le faisait pas exprès, et cela aurait plus collé avec ce qu'elle avait pu entrevoir de son caractère, soit il lui faisait du charme. Hum. Rien n'était encore sûr, malgré ce regard insistant qu'il posait sur elle, la faisant sourire de plus belle.
« Non, cette fois, on va commencer la partie. » C'aurait été un peu rapide, pour le commun des mortels, mais pour un petit génie tel que Tsukune, elle considérait la chose tout à fait adaptée. Ainsi plaça-t-elle deux billes sur la partie supérieure du billard, alignées au même niveau. « Tu te rappelles de ce que je t'ai dit, pour savoir qui commence ? ... Eh bien, c'est parti. » Elle attendit qu'il vienne la rejoindre, effleura -sans le faire exprès, bien entendu :D- sa main, puis se pencha en même temps que lui, plaçant sa baguette en face de l'une des billes. « A trois... Un... Deux... » Et trois. Reira tira avec une force modérée la bille, l'observa revenir vers eux, et s'arrêter non loin de la bande où ils se trouvaient. Mais -chance du débutant ?- , celle de Tsukune s'y arrêta relativement plus proche. Elle ouvrit de grands yeux, puis reposa son regard sur lui : « Eh ben. Tu m'impressionnes. A toi de casser le jeu. » Sur ce, elle reprit le triangle, y plaça les billes comme on le lui avait appris, puis l'enleva une fois qu'elles furent immobiles, donnant à Tsu' la blanche. « Pour casser, il faut que tu places la blanche dans ce périmètre là... » Elle lui indiqua de sa main la zone « D » du billard, là où ils se trouvaient. « ... Et que tu tires dans le tas de billes, en essayant soit d'en empocher au moins une, soit en faisant toucher le bord à deux autres. Si tu rentres une rayée ou une pleine, tu gardes cette couleur pendant tout le jeu. Et si tu en rentres de différentes couleurs, c'est toi qui choisis. » Elle lui sourit, posa sa main sur son bras, l'invitant à essayer. Et en profitant un peu aussi. Aurait-il besoin d'elle pour placer ses mains, cette fois ? Héhé.

Sans le savoir, Tsukune lui avait laissé la couleur qu'elle appréciait tout particulièrement, lorsqu'elle jouait au billard américain ; il n'y avait pas de raison particulière, mais le fait était là, comme on préfère une simple couleur à une autre.
Sa théorie du profil parfait venait d'être définitivement confirmée ; le jeune homme avait tout du petit génie du billard. Chanceux. Tout dans la vie lui réussissait-il autant ? Reira était convaincue que oui, et en profita pour l'observer un peu plus ; Tsukune était beau, intelligent, gentil, avec un sens de l'humour capable de supporter ses blagues vaseuses -à elle-, en gros, avait absolument tout pour plaire. Pas étonnant que tout lui sourisse ici bas. Enfin, pour ce qu'elle avait pu en voir : Reira ne connaissait rien de son passé, bien que Choji ne lui aie signalé de fait marquant.
Elle lui sourit quand il lui posa la question, et acquiesça à la suite ; comme s'il pouvait avoir tort. Alors qu'elle se penchait sur le billard, elle put le voir se diriger vers Kimie, ce qui la fit sourire de plus belle ; d'habitude, la présence de la petite gênait plus les divers garçons qu'elle avait eu le loisir de connaître, avait d'ailleurs souvent été une entrave à une éventuelle relation amoureuse. Mais s'ils n'étaient pas capables de faire preuve d'assez de maturité pour accepter son existence, et dissocier Reira en tant que petite amie, de son rôle de mère, alors elle ne pouvait rien faire pour eux. Et, pour l'instant, Tsukune réalisait un sans faute, là où Reira l'attendait pourtant au tournant. Pas de défaut réellement handicapant, jusqu'à maintenant, et il la surprenait de plus en plus. Et, de fait, l'attachement qu'elle lui portait allait croissant.

Bille facile. D'un coup rapide, elle l'empocha, puis se redressa vivement pour se tourner vers Tsukune, l'attendant avec le même sourire. Que pouvaient-ils bien se raconter, avec Kimie ? Elle dévoilait sûrement un pan gênant de sa vie, comme le faisaient les enfants de son âge. Si Reira avait seulement eu idée du quiproquo qui se déroulait sous ses yeux -et dont elle ne saisissait aucune parole-, elle aurait sûrement pu y remédier. Puisque c'était encore son tour, elle s'y remit, hésita un instant sur l'endroit où se placer, puis décocha son coup ; la bille alla taper la bande, puis rebondit devant l'une des poches. Hum. Pas assez de force, mais elle était au moins bien placée, barrant l'une des six entrées aux autres billes.

Tsukune revint vers elle lorsqu'elle se redressa de nouveau, et elle l'accueillit avec un sourire chaleureux, ignorant du tout au tout que le jeune homme la croyait maintenant en couple.
« Ouaip, c'est ton tour. » Elle se décala afin de le laisser jouer, jetant un oeil curieux vers Kimie. Qu'avait-il bien pu se passer là-bas ? Huum. S'excusant d'un sourire, elle laissa la curiosité l'emporter, et elle se retrouva en deux temps trois mouvements à côté de sa fille. Passant sa tête par dessus son épaule, menton posé contre cette dernière, elle aperçut le dessin, et lui demanda, comme Tsukune quelques instants auparavant, qui étaient ces deux personnes. « Toi et Tsukune. » Oooh. C'était trop mignon. Mais... Oups. Il l'avait vu aussi, le dessin ? Et merde, pensa-t-elle en retournant auprès du jeune homme, après avoir fait croire que le motif de son déplacement était uniquement dans le dessein de s'assurer que Kimie avait toujours son doudou et sa sucette.
« Ca fait combien de temps que tu connais Chojiro ? », fit-elle finalement, histoire de détourner leurs éventuelles pensées vers les bonhommes de la petite fille.

A sa réponse, Reira acquiesça, puis haussa les épaules, lui souriant à nouveau. « Comme ça. Pour faire la conversation. » Sur ce, elle le regarda faire, les yeux brillants, détaillant chaque partie de son visage, comme si elle ne l'avait jamais vu. Pendant qu'il regardait autre chose, elle en profitait honteusement, évitant ainsi de se faire prendre sur le fait ; le dessin de Kimie avait eu le mérite d'être assez clair, selon elle. Trop clair pour Tsukune, peut-être, d'où le changement de comportement qui s'annonçait. Quand elle le vit empocher sa bille, elle parut foncièrement étonnée, lui qui s'était avéré si doué sur les premiers coups. Naïvement, elle se demanda si l'envie de jouer ne l'avait pas quitté. Ou peut-être était-elle devenue lassante à ses yeux. Qu'en savait-elle ?

Son impression en fut renforcée lorsqu'il se tourna vers elle, un sourire contrit sur les lèvres, et lui annonça qu'elle avait l'avantage d'une bille ; chaque mot lui résonna durement dans les oreilles, son ton devenu moins chaleureux s'y répercutant sans douceur. Le prochain sourire lui enleva légèrement un certain poids du coeur, que Reira balaya d'ailleurs d'un revers de main, souriant à son tour. « Tout le monde se plante un jour ou l'autre. », commença-t-elle en indiquant la table de billard, sans se rendre de compte de faire une généralité tout à fait d'actualité. « L'autre fois, j'ai pas réussi à empocher une bille qui était à peine à cette distance du trou. » Oui oui, elle racontait honteusement sa vie, et appuyait ses dires en écartant ses mains l'une de l'autre, avant de fixer Tsukune dans les prunelles. Mais qu'avait-il, bon sang ? Tout se passait pourtant à merveille, non ? Elle n'afficha pourtant rien de sa lutte intérieure, bien que le comportement du jeune homme ne la perturbe, encore une fois. Hé mais... Le dessin de Kimie en aurait-il été l'investigateur ? Tsukune aurait pu deviner les intentions de Reira et, celles-ci n'étant pas réciproques, l'aurait pris étrangement mal. La fuirait même. Oh non, pas encore une fois.
Sans se rendre compte qu'elle se montait la tête en un scénarion quasi-improbable, elle se pencha sur la table, se plaça un instant, ne se laissant pas démonter par ce qui arrivait. « Chojiro t'a déjà dit qu'on se connaissait depuis la maternelle ? » Elle donna un coup maîtrisé, empocha une bille de sa couleur. « Au début, il paraît que j'étais horrible avec lui ; je lui faisais subir les pires tortures qu'une petite fille de cinq ans peut inventer. » Et bla bla bla. Elle étalait de nouveau sa vie sans complexe, n'imaginait même pas ennuyer Tsukune -et ne l'espérait d'ailleurs pas, le pauvre. Elle changea de position, s'assit sur le bord de la table en prenant garde de ne rien toucher, puis visa tout en continuant de bavasser. « Et quand j'ai eu Kimie, c'est l'un des rares amis qui ne m'a pas vraiment laissée tomber. Ca fait mauvais genre, d'avoir une fille à mon âge. » Oups. Loupée, la bille. Bon. D'un sourire encourageant, elle lui signifia que c'était son tour. Lui effleurant le bras, de nouveau, sans pouvoir s'en empêcher.

Lorsque Tsukune tira, elle n'avait -encore une fois- pas eu le réflexe de baisser les yeux sur les billes, son regard s'accrochant sans qu'elle puisse s'en défaire, au visage harmonieux du jeune homme. Quelle fille digne de ce nom aurait préféré se concentrer sur un jeu de billard -quoique rendu important chez Reira-, plutôt que sur le jeune japonais avec qui elle avait la chance de passer la soirée ? Aucune, on se l'accorde facilement. Ainsi, elle put s'apercevoir de l'importance du coup que venait de mettre son ami -hum hum- rien qu'en voyant son visage s'illuminer. Dieu qu'il était beau.

A vrai dire, Reira n'avait jamais vu Tsukune aussi démonstratif, et en resta pantoise un instant, le voyant s'émerveiller devant son coup de maître -fallait-il le préciser. Puis elle en sourit, presque attendrie par la vision du jeune homme aussi heureux. Elle ne savait comment elle résistait à l'envie de le serrer contre elle dans un élan d'affection un peu trop démonstratif, et c'est pour ce fait qu'elle se retint avec grand mal, se contentant de lui renvoyer sa bonne humeur par un énième sourire. Qu'est-ce qu'il était adorable. Reira émit un profond soupir, l'un de ceux qui ne trompent pas, heureusement passé incognito au milieu du brouhaha ambiant. Hum, c'était à elle. Difficile de se concentrer sur le jeu dans ses conditions. Particulièrement lorsque l'on se sait observé par quelqu'un tel que Tsukune.
Hum. Première bille facile. Dans un mouvement souple, elle l'empocha, bien décidée à rattraper son élève -afin qu'il ne dépasse, pas de suite, le maître-, puis se replaça pour la deuxième, après un regard éloquent au jeune homme ; elle avait bien l'intention de gagner, et ça n'était pas parce qu'il était le mec le plus parfait qu'elle aie eu l'occasion de rencontrer, qu'elle allait lui laisser prendre le dessus ce soir-là. Hop, deuxième empochée. Reira dut faire le tour du billard, afin de se placer au mieux pour la suivante, qu'elle mit à son tour. Tout était fait rapidement, comme si les premières billes n'avaient été qu'un simple entraînement, loin d'être pris au sérieux ; quelques années d'entraînement prenait toujours le pas sur une chance de débutant, n'est-ce pas ? Troisième. Puis quatrième ; sa couleur était empochée. Ne restait plus que la noire, placée dans un endroit désaventageux, et cernée par les deux dernières billes de Tsukune. Il ne lui rendait pas la tache facile, pensa-t-elle avec une moue réfléchie ; elle devrait effectuer un rebond, et ainsi calculer l'angle avec une précision draconienne. Bon... Puisqu'il fallait y aller.

Elle l'aurait parié. La noire vint taper la bande, non loin de la poche, la plaçant ainsi idéalement pour le jeune Niwa. La poisse. Définitivement la poisse. Encore fallait-il qu'il empoche les deux autres, mais... « Maman ! » Kimie agita son dessin à la table voisine, lui signalant ainsi qu'elle avait fini. « C'est à toi. », fit-elle à l'intention de son charmant élève, encore tous sourires, avant d'aller voir sa fille. « C'est magnifique ma puce. » Et sans mentir, son dessin étant impressionnant pour une fillette de son âge. Elle la félicita d'un baiser sur le front, puis rangea les feutres, Kimie insistant pour prendre le bout de papier dans sa main. La petite dans les bras, elle revint vers la table, où Tsukune jouait. Puis, dans un moment où il se réfléchissait probablement, l'enfant lui tendit le fameux dessin, le regardant avec un sourire. Légèrement embarrassée -Tsukune avait sûrement deviné ce qu'il représentait, non ?-, Reira eut un sourire gêné, et ajouta : « Je crois qu'elle veut que tu le gardes. »

Ben, oui, lui. Le sourire de Reira se fana légèrement, le voyant forcer un nouveau sourire, et la question du pourquoi son changement de comportement lui brûla violemment les lèvres ; elle se retint pourtant, pensant que cela ne se faisait pas, en définitive, et confirmant le dessin comme étant la source d'une poussée de mauvaise humeur. Pourquoi ? L'idée de s'imaginer avec elle le répugnait tant que ça ? Mais alors, pourquoi avait-il trouvé cette excuse, afin qu'elle en vienne à lui toucher les mains ? Ca n'en était peut-être pas une, finalement. Dieu seul le savait. Et il savait aussi que Reira n'abandonnait jamais lorsqu'un garçon lui plaisait, jusqu'à la question fatidique, qui se terminait généralement mal.
Comme à son habitude, la jeune fille resta pendue au doux visage de Tsukune, puis fit un détour par ses mains, d'une finesse remarquable, malgré le jeu qui se jouait sous ses yeux. Hum. La bonne conduite aurait voulu qu'elle arrête de suite ce petit manège, mais c'était au-dessus de ses forces. Aussi lut-elle une nouvelle fois sur ses traits qu'il avait empoché une bille, puis rata l'autre, laissant le champ libre à Reira. Sans détourner le regard quand il posa les yeux sur elles, elle sourit à sa réplique, puis le détailla un peu plus lorsqu'il fut à proximité, avant de lui donner Kimie, ayant au préalable eu l'autorisation de ce faire.

Hum. Coup facile, apparemment. Mais voulait-elle que le jeu finisse aussi rapidement ? Ce qui signifierait chacun de retour dans ses quartiers, sans savoir quand elle le reverrait dans ce genre de situation. Et ça, étrangement, elle n'y tenait pas tant. Il fallait trouver un moyen, pensa-t-elle en se plaçant, puis en tournant le regard vers Tsukune, qui discutait avec sa fille. Trop-mi-gnon. Il aurait fait un père parfait, contrairement à cet imbécile de Seiho. Hum. Elle les avait regardé un peu trop longtemps, pour faire croire à une simple oeillade, aussi retourna-t-elle immédiatement au jeu, un léger fard ayant fait siège de ses joues.
Bille empochée. Que pouvait-elle faire d'autre, qui ne soit pas découvert ?
« On dirait que j'ai gagné.  Mais j'ai aucun mérite. », fit-elle en passant près du jeune homme, allant ranger les baguettes au mur. Revenant auprès d'eux, elle se planta devant Tsukune et Kimie, leur sourit, regardant le jeune homme dans les yeux. « J'avais pensé emmener Kimie au parc, comme il fait beau... » Elle lui fit comprendre qu'il pouvait lui redonner la petite, s'il le voulait. « Comme vous avez l'air de bien vous entendre, tu pourrais venir, ne ? Enfin, si tu n'as rien à faire. » Elle hésita un instant, avant d'ajouter en détournant les yeux : « Ca me ferait plaisir, aussi. » Comme si cela pouvait le convaincre un peu plus.