Règlement de compte [ PV Seiho ]

« Allez, Kimie, cette fois, on va au lit. », fit Reira en pinçant gentiment le nez de sa fille. Celle-ci protesta encore un instant, enfouissant sa tête dans son oreiller avec un long « Noon, j'veux pas. », mais après un coup d'oeil appuyé de sa mère à l'horloge de la chambre, qui indiquait alors un 21h10 évocateur, elle n'avait plus le choix. On n'avait pas idée de coucher une enfant de cet âge à une heure si tardive, mais les aiguilles avaient tourné plus vite que prévu, lorsqu'elle avait commencé à jouer, puis à lui raconter une histoire. Puis une autre. Et encore une autre. Et voilà où elles en étaient. La petite protesta un peu plus en chouinant, mais Reira la convainquit en lui donnant sa sucette, et son doudou. ... Son doudou ?
« Où est-ce que tu l'as mis ? », demanda-t-elle en commençant à regarder sur, puis sous le lit, avant de s'attaquer à la chambre entière. Kimie la regarda faire avec intérêt, sans pouvoir l'aider toutefois ; aussi sa génitrice s'évertua à trouver le petit ours qu'elle avait adopté dès sa naissance, et dont elle ne pouvait plus se passer dorénavant. Si elle ne le trouvait pas, sa fille ne dormirait pas de sitôt, irait même sûrement jusqu'à la crise de larmes. Hum. Reira se releva, bredouille. La bestiole n'était pas dans la chambre. Alors elle devait être dans le salon, ou la cafétéria, seuls endroits qu'elles avaient visités ces dernières heures. Bon, il ne lui restait plus qu'à...

On toqua à la porte. Meerde. Le surveillant. Il ouvrit d'ailleurs la porte, et eut à peine le temps de passer sa tête par l'entrebaillement, que Reira lui sauta dessus, tout sourires.
« Bonsoir ! Kimie a oublié sa peluche à la cafétéria, elle ne peut pas dormir sans. » La cafétéria, pourquoi pas ? Elle paraissait plus décidée en choisissant l'une des deux options, donc plus crédible. Elle marqua une pause, désignant la petite de la tête, et continua son plaidoyer, explicant qu'elle se devait d'aller la chercher, malgré le couvre-feu, mais qu'elle avait besoin de quelqu'un pour la garder. Et que le bonhomme n'avait apparemment pas le choix, Nanako et Misa déjà couchées. Bon Prince, il accepta de lui céder un voyage nocturne à la cafétéria, tandis qu'il interromprait sa tournée pour surveiller Kimie, le tout après avoir averti son autre collègue, qui prendrait le relai. Parfait.

Ainsi se retrouva-t-elle, de nuit, à la fameuse cantine, tentant de se remémorer où elles avaient dîné 17h. On se serait presque cru dans une série policière, à la façon dont elle tentait de raisonner. Et pas de Rei -la peluche en question-, dans le coin. Aussi se rendit-elle au salon, assez rapidement, priant pour que le surveillant sache s'occuper de Kim', et qu'elle n'en croise pas un autre, rôdant sûrement dans la région, afin d'éviter toutes explications inutiles. Elle se faufila dans la salle, referma la porte derrière elle, et commença à chercher sans allumer la lumière, de peur de se faire repérer. La recherche mit donc un peu plus de temps de prévu, seulement éclairée à la lueur de la lune, qui filtrait par les stores baissés ; elle trouva néanmoins Rei tranquillement installé sur un fauteuil, comme la narguant de ses yeux vitreux.
« Te voilà, toi. », chuchota-t-elle à elle-même, tout en attrapant la peluche avec un sourire. Ouf. Mission terminée. Enfin... Presque. Puisqu'à peine eut-elle le temps de se lever, qu'un bruit de serrure se fit entendre à la porte, glaçant le sang de Reira, débouchant ensuite sur des bruits de pas allant décroissant, pour aboutir sur un silence de mort. Qu'est-ce que ... ? Prise d'un mauvais préssentiment, elle se dirigea rapidement vers la sortie, appuya immédiatement sur la poignée, qui ne tourna pas. ... On l'avait enfermée ? Les surveillants vérrouillaient les portes, après le couvre-feu ?!
« Y a quelqu'un ? », demanda-t-elle audiblement, puis réitéra plus fort, criant presque. Elle tendit l'oreille : aucun bruit. « Oh nooon... » Elle se mordit la lèvre d'un air désespéré, tentant de faire céder la poignée à nouveau. Son portable. L'avait-elle seulement sur elle ? Reira baissa rapidement les yeux sur les poches de son jean's, qu'elle tata dans un même mouvement. Rien. Forcément. Elle avait dû le laisser traîner sur sa table de nuit, ou dans son sac. Oh mon Dieu. Elle était coincée ? Pas moyen de sortir par la fenêtre pour cause de store. Il ne restait qu'un seul moyen.
« Y a quelqu'un ? »

BAM.

- Aïeeeeuh !

Seiho s’avance en se frottant douloureusement l’arrière de la tête. Depuis peu sa maladresse habituelle ne fait qu’augmenter. Il lance un regard mauvais à la porte qu’il vient de heurter violemment. Si les regards avaient un quelconque pouvoir, la malheureuse aurait flambée sur place. Se reprenant, le jeune homme regarde avec attention autour de lui. Personne. C’est parfait. Un doux sourire vient se dessiner sur ses lèvres, alors qu’il referme sans bruit la porte de sa chambre. Le couvre-feu vient à peine d’être déclaré, et il a une quinzaine de minutes avant la première ronde. Le temps idéal pour aller boire un café dans le parc. Bien sur il va encore avoir des ennuis, mais il ne comprend pas cette histoire de ne plus sortir des chambres passée une certaine heure. C’est injuste. Et tout ça depuis que les filles sont arrivées, de quoi leur en vouloir encore plus. L’idée que dans l’histoire, c’est de lui et ses comparses que l’on veut protéger les demoiselles, ne l’effleure pas même un instant. Qu’importe. Les mains dans les poches, l’adolescent glisse sans bruit sur le sol, en direction des machines à café de l’entrée. En priant pour qu’elles fassent moins de bruit que la dernière fois. Au fur et à mesure de ses pas discret, le silence emporte Seiho loin dans ses pensées. Le fait que les filles soient arrivées est son problème majeur. Lui qui était coureur de jupons se met soudain à avoir peur de la gente adverse ? Impossible. En y réfléchissant bien, quelque chose le pousse à agir convenablement, et il déteste ça. Si Reira n’avait pas été avec la vague de filles venues s’installer, il aurait certainement pris ça autrement.

- Et d’abord qu’est-ce qu’elle vient faire ici ?

Des lycées comme ici, il y en avait des tonnes dans tout le japon. Pourtant, Seiho n’arrive pas à visualiser son ex-petite amie ailleurs que dans les endroits où il l’a déjà vue. Et puis, une image s’impose à lui avec une telle violence qu’il se fige soudain comme une statue dans les couloirs déserts. Le jour de la rentrée. Reira n’était pas seule. Et à vrai dire, il aurait préféré la voir dans les bras d’un autre que seule, tenant désespérément par la main une fillette plus mignonne qu’une armée de nounours. Dans la masse grouillante d’élèves soudainement mixte, là où il voyait d’habitude ses amis, ses compagnons de chambrée et de blagues stupides, se tenait soudain la plus jolie fille du monde, et elle n’avait pas dix ans. Bizarrement, il n’arrivait pas à mettre en image le reste de la journée. Ce n’était qu’un flou total, où apparaissait parfois la tête de Kenji, souriant, comme d’habitude. Mais l’image la plus nette de cette journée, c’est celle de sa fille. Ça fait bizarre de le dire. Toujours planté au beau milieu d’un couloir vide de son internat, Sei’ entrouvre les lèvres, les yeux perdus dans le vague.

- Ma fille …

C’est irréel, ces mots venant de sa bouche. L’image de l’enfant est perturbante. Il revoit ses grands yeux détaillant tout le monde, sa petite tête ronde se levant sur sa mère pour l’interroger du regard… La complicité qu’il a entre la mère et sa progéniture le rend jaloux. Comme toujours lorsqu’il voit quelque chose qu’il n’a pas. Machinalement, il sort de sa poche une sucette qu’il déballe et fourre dans sa bouche. Tout était plus simple avant. Lui réputé pour être intelligent se trouve soudain bien stupide. Quel homme au monde peut se regarder tous les jours dans la glace sans avoir envie de se gifler après avoir agi en parfait égoïste ? Pour se protéger, encore et toujours, des remords qui lui grillent le cœur insidieusement, il se répète, inlassablement, qu’il était trop jeune. Beaucoup trop jeune. Sa langue s’enroule autour de la boule de sucre, alors que ses yeux se ferment sur des pensées trop lourdes pour lui. Il n’est pas quelqu’un de fort. Le jeune homme retient un soupir de lassitude. Tout ça l’ennui. Il donnerait volontiers sa place à quelqu’un d’autre. Mais l’idée de laisser quelqu’un d’autre être le géniteur de Kimie… Jamais. Même si la gamine ne sait même pas qui il est.

- Y A QUELQU’UN ?

Le cri fait sursauter Seiho. Tendant l’oreille, il entend de nouveau pester derrière une porte. Levant les yeux, il réalise qu’il se trouve devant le salon. Il ne pensait pas être allé aussi loin. Prudent, il surveille quelques secondes que le cri n’ai pas alerté un surveillant avant de s’approcher. Lentement, il pose la main sur la poignée et défait le verrou extérieur. Il ouvre la porte en silence pour pouvoir passer la tête par l’insertice et découvrir une Reira totalement affolée qui lui fait face.

- Qu’est-ce que tu fiches ici ?!

A peine les mots ont-ils franchi sa bouche qu’il les regrette. Ce n’est pas le genre de chose que l’on est censé dire face à quelqu’un qui se retrouve enfermé, surtout quand ce quelqu’un se trouve être la personne à qui vous pensiez quelque instants auparavant. Mais tout sort si spontanément de sa bouche par moment.